Histoire de la Fraternité Saint-Pie X
Dès les années du Concile, Monseigneur Lefebvre, alors Supérieur général de la congrégation des Pères Spiritains, recevait des appels angoissés de la part de séminaristes désemparés. En effet, la dégradation de la formation sacerdotale se faisait déjà sentir un peu partout.
Monseigneur Lefebvre commença par les diriger vers des séminaires ou des universités qu’il estimait plus “traditionnels”. Malheureusement, la révolution conciliaire semblait devoir tout emporter : partout on jetait le froc aux orties, on abandonnait les exercices de piété, l’oraison, le chapelet, la dévotion à la Sainte Vierge et aux Saints.
L’enseignement de la foi était saccagé, les méthodes nouvelles faisaient table rase du passé, de la philosophie pérenne comme du magistère constant de l’Eglise, la divine Liturgie laissait place aux expériences les plus diverses et les moins sacrées. Devant le constat d’échec des solutions d’attente – comme le Séminaire français de Rome ou l’Université pontificale du Latran –, Mgr Lefebvre se trouva bientôt libre de toute fonction après qu’il eût été amené à démissionner de sa charge, en 1968. Evêque retraité âgé de 63 ans, il se décide alors, comme poussé par la Providence, à ouvrir lui-même une maison de formation à Fribourg en Suisse. Nous sommes en octobre 1969 et la maison de la route de la Vignettaz voit frapper à sa porte les premiers séminaristes demandeurs d’une formation spirituelle vraiment catholique. Parallèlement, ils suivent les cours de l’Université catholique.
Une année cruciale
1969-1970 : c’est l’année cruciale pour l’Eglise qui se voit imposer la nouvelle messe. A Fribourg les débuts sont difficiles : maladie de Mgr Lefebvre, départs de plusieurs séminaristes. A la même époque, en Valais, un groupe de fervents catholiques rachète la maison et le domaine d’Écône mis en vente par les chanoines du Grand Saint-Bernard. Leur but est de sauver les bâtiments d’un usage profane, car ils ont le ferme espoir de garder à la propriété une finalité religieuse. Bientôt, ils en font don à Mgr Lefebvre qui décide, dans un premier temps, d’y installer l’année préparatoire ou de spiritualité qu’il veut instituer avant les études de philosophie et de théologie. C’est ainsi qu’à la rentrée 1970, 11 séminaristes de 1ère année font leur entrée à Écône tandis que leurs aînés repartent à Fribourg pour y poursuivre leur formation.
Surtout, le 7 novembre 1970, Monseigneur Lefebvre annonce fièrement à ses séminaristes l’érection officielle de la “Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X” dans le diocèse de Fribourg par Son Excellence Mgr François Charrière. L’acte est signé du 1er novembre 1970, fête de la Toussaint. L’Eglise catholique reconnaissait ainsi la fondation de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Le 18 février 1971, le cardinal-préfet de la Congrégation du Clergé adressait une lettre de louange pour l’œuvre accomplie. Munie de la reconnaissance et de la bénédiction de l’Eglise, la Fraternité Saint-Pie X semblait promise à un avenir prometteur et serein.
L’expansion et les premières difficultés
En juin 1971 Monseigneur bénit la première pierre du bâtiment Saint-Pie X à Ecône, pour loger les séminaristes désormais trop nombreux pour les locaux existants. L’apostolat de ces débuts est encore bien limité : vers 1972, la Fraternité n’exerce de ministère qu’en Grande-Bretagne et en Californie, ainsi qu’en France, où elle assure l’aumônerie d’une modeste école de filles. Mais, en décembre 1972, une campagne de presse est lancée de France contre Écône. Certains évêques s’agacent de voir partir des jeunes gens pour ce qu’ils ne veulent considérer que comme un « séminaire sauvage ».
En 1973, s’ouvre une nouvelle maison à Armada (Michigan), pour accueillir le séminaire nord-américain. Puis en 1974, c’est l’acquisition d’un ancien noviciat des Frères du Sacré-Cœur à Albano-Laziale, aux portes de Rome.
Visiteurs apostoliques à Ecône
En octobre 1974, 40 nouveaux candidats se présentent à la porte du séminaire. Écône compte alors 130 aspirants au sacerdoce, sans compter 5 postulants frères. Mais, soudain, c’est l’orage. Le 11 novembre 1974, deux Visiteurs apostoliques arrivent à Écône. Ces deux prélats, Mgr Descamps et son secrétaire, Mgr Onclin, tiennent des propos qui choquent les séminaristes, soutenant que « l’ordination de gens mariés était normale », ajoutant qu’ils « n’admettaient pas une Vérité immuable », émettant enfin des « doutes sur la manière traditionnelle de concevoir la Résurrection de Notre Seigneur »… Scandalisé par cette attitude, et ne voulant pas collaborer à ce que le pape Paul VI a déjà appelé « l’auto-démolition de l’Eglise », Mgr Lefebvre rédige et publie sa fameuse déclaration du 21 novembre 1974.
Les sanctions
Le 13 février 1975, Mgr Lefebvre est invité à “s’entretenir” avec les membres d’une commission de trois cardinaux (Leurs Eminences Garrone, Wright et Tabera). Ce n’est qu’une fois devant eux qu’il comprend qu’ils ont charge d’instruire un procès contre lui, et ce, sans qu’il ait eu connaissance de la compétence d’aucun “tribunal”.
Il « comparait » une seconde fois le 3 mars suivant. Le 6 mai 1975, sans qu’un jugement soit survenu, la Fraternité est illégalement supprimée par Mgr Mamie, successeur de Mgr Charrière au siège de Fribourg, la sentence étant « immédiatement effective ». Du jour au lendemain, Mgr Lefebvre doit abandonner 104 séminaristes, 13 professeurs et le personnel, les renvoyer séance tenante, et cela à deux mois de la fin de l’année scolaire ! Nous sommes le 8 mai 1975, proclamée par le Saint-Père « année de la réconciliation » !
Ayant fait appel de cette injustice, Mgr Lefebvre emmène tout le séminaire en pèlerinage à Rome pour l’Année sainte. La Fraternité compte en 1975 quelque 15 prêtres et un évêque.
Durant l’année 1976, devant la calme résistance de « l’évêque de fer », des mesures plus radicales sont alors prises : blocage (illégal) du recours déposé par Mgr Lefebvre à la Signature apostolique sur intervention du secrétaire d’Etat, le cardinal Villot ; lettre de la Secrétairerie d’Etat aux conférences épiscopales du monde entier par laquelle les Ordinaires sont invités à ne pas accorder l’incardination dans leur diocèse aux candidats de la Fraternité Saint-Pie X ; enfin, menace de sanction si Mgr Lefebvre procède aux ordinations sacerdotales à la fin de l’année. Le nœud autour duquel se joue désormais « le drame d’Écône » est l’acceptation explicite de tout le Concile Vatican II, de toutes ses décisions et des réformes qui en sont issues, en commençant par l’acceptation de la nouvelle messe. Il aurait suffi que l’évêque acceptât de concélébrer une seule fois dans le nouveau rite, et toute difficulté aurait été aplanie.
« Été chaud »
Vient l’été 1976, le célèbre « été chaud ». Après l’ordination de douze prêtres le 29 juin, Mgr Lefebvre est frappé de « suspens a divinis. « Une sanction qui, observe-t-il avec humour, l’empêche de dire la messe… nouvelle ! Le 29 août 1976, il se rend à Lille pour y célébrer la messe devant des milliers de fidèles. Il y prononce un sermon retentissant qui fait aussitôt la une des journaux. Cf. texte intégral du sermon
Une autre épreuve s’abat sur Mgr Lefebvre et son œuvre encore fragile lorsque, à la rentrée 1976, le corps professoral fait en partie défection. Mgr Lefebvre décide alors de prendre lui-même la direction du séminaire d’Écône, avec un corps professoral renouvelé. A la rentrée 1977, tous les professeurs sont issus de la Fraternité.
La Fraternité continue
Dès la rentrée de 1975, s’était ouvert à Weissbad, dans le canton d’Appenzell, un séminaire de langue allemande dont M. l’abbé Franz Schmidberger avait pris la direction. En octobre 1977, la Fraternité compte 40 prêtres, 150 séminaristes, 20 maisons et trois séminaires (Écône et Weissbad en Suisse, Armada aux Etats-Unis).
En 1978 le séminaire de Weissbad se transporte à Zaitzkofen, en Bavière (Allemagne). L’année suivante voit la fondation du séminaire de Buenos Aires avec 12 séminaristes en année de spiritualité. Le séminaire d’Armada déménage à Ridgefield, à 100 miles de New York. Mgr Lefebvre quitte alors la direction du séminaire d’Écône et s’établit à Rickenbach (canton de Soleure) où il installe la Maison générale. C’est M. l’abbé Tissier de Mallerais qui le remplace à la tête du séminaire.
La suspense de 1976 n’a jamais arrêté les contacts avec Rome. Mais il faut attendre l’élection de Jean-Paul II, jeune pape venu de Pologne, pour que naisse quelque espoir d’entente. En effet, reçu en audience en novembre 1979, Mgr Lefebvre esquisse une formule qui semble devoir satisfaire son illustre interlocuteur. Il parle du « concile Vatican II reçu à la lumière de la Tradition ». Mais le cardinal Seper, présent, intervient pour dénoncer l’attitude du prélat d’Écône qui « fait de la messe un drapeau », dit-il sur un ton polémique. L’entretien tourne court. En 1980, la Fraternité compte 82 prêtres, et un évêque.
Un nouveau Supérieur général
Le 29 juin 1983, au sermon prononcé lors des ordinations à Écône, Mgr Lefebvre annonce que M. l’abbé Schmidberger, qu’il a désigné l’année précédente comme son vicaire général, prend sa place à partir de ce jour comme Supérieur général de la Fraternité.
Lutte et expansion
Jean-Paul II et les protestants
En 1983, une nouvelle étape est franchie : le pape Jean-Paul II multiplie déclarations et gestes de sympathie à l’égard de Luther dont les protestants célèbrent le cinq-centième anniversaire de la naissance. Plus que jamais, le pape s’engage au nom des droits de l’homme et pose des gestes d’un œcuménisme pourtant condamné. Face à tant de scandales venus de haut, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer, évêque du diocèse de Campos au Brésil, lui écrivent une lettre ouverte le 21 novembre 1983. Ils le font dans l’esprit de saint Paul résistant publiquement à saint Pierre, lorsque celui-ci « ne marchait pas selon l’Evangile » (épître aux Galates 2,14).
En 1985, année où la Fraternité compte 156 prêtres, et un évêque, Mgr Lefebvre publie chez Albin Michel une Lettre ouverte aux catholiques perplexes où, dans un langage clair, accessible à tous, il précise les raisons de sa résistance face aux réformes destructrices du catholicisme.
Réunion inter-religieuse à Assise
Malheureusement, au Synode de cette même année, synode extraordinaire réuni à l’occasion du vingtième anniversaire de la clôture du concile Vatican II, Jean-Paul II décide de continuer en allant toujours plus loin. Il convoque pour le 21 octobre 1986 une réunion inter-religieuse à Assise, où toutes les religions réunies et placées sur le même pied d’égalité invoquent leurs idoles. Une fois encore, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer réagissent vigoureusement, en successeurs des apôtres, forts dans la foi. Ils dénoncent en particulier un syncrétisme implicite et l’abandon pratique du premier commandement.
Parallèlement à une crise qui semble devoir s’aggraver, la Fraternité connaît toujours le même développement. En France, le séminaire de Flavigny-sur-Ozerain (Côte-d’Or) ouvre ses portes pour accueillir les séminaristes désormais trop nombreux à Écône. Par ailleurs, la Fraternité étend son apostolat de manière spectaculaire, en ouvrant de nouvelles maisons au Gabon, au Chili, en Nouvelle-Zélande, aux Antilles, au Zimbabwe et en Inde. Elle est désormais présente dans tous les continents et implantés dans quelque 23 pays.
Les sacres
La mesure de l’apostasie de la Rome conciliaire étant comble avec la confirmation des thèses de la fausse liberté religieuse, Mgr Lefebvre annonce aux ordinations du 29 juin 1987 qu’il n’hésitera pas, si Dieu le veut, à se donner des successeurs dans l’épiscopat pour que l’œuvre de la Fraternité continue.
Visite canonique
Rome réagit aussitôt en proposant de procéder à une visite des maisons de la Fraternité afin de mieux connaître l’œuvre de formation sacerdotale et d’en constater les fruits de sainteté et de catholicité à travers le monde. Mgr Lefebvre s’en réjouit et accueille, flanqué de son secrétaire, Mgr Camille Perl, le cardinal Edouard Gagnon, de la Congrégation des Pères du Saint-Esprit, nommé Visiteur apostolique.
Cette visite est une sorte de reconnaissance de l’illégitimité des sanctions et des suppressions portées auparavant, puisqu’il visite une Fraternité qui, officiellement, n’existe pas. Le cardinal assiste d’ailleurs à la messe de l’évêque “suspens” le 8 décembre 1987 à Écône.[1 ] Le même jour, il déclare :
je veux dire que nous avons été frappés, partout, nous gardons une grande admiration pour la piété des personnes, pour l’actualité et l’importance des œuvres, surtout en ce qui concerne la catéchèse, la formation, l’administration des sacrements. Certainement nous avons en main tout ce qu’il faut pour faire un rapport très positif. »
Ce rapport ne paraîtra jamais et sera, pratiquement, étouffé. A ce jour, il n’a jamais été publié. Par contre, on peut toujours lire dans le Livre d’or du séminaire d’Écône le souhait du cardinal, que « le merveilleux travail de formation sacerdotale accompli ici rayonne un jour pour le bien de toute la sainte Eglise ».
Opération survie
Mgr Lefebvre avait repoussé la date des sacres dans l’espoir d’un accord acceptable. Une formule doctrinale peu satisfaisante est malgré tout signée par Mgr Lefebvre après une nouvelle réunion à Rome, le 5 mai 1988, avec le cardinal Ratzinger. Dès le lendemain, Monseigneur demande de nouvelles garanties concernant le sacre et le secrétariat romain qui serait chargé de la Tradition.
Le refus de ces conditions indispensables conduit Mgr Lefebvre à décider le sacre de quatre évêques membres de la Fraternité pour le 30 juin 1988. Le sacre est légitimé par le cas de nécessité devant lequel l’Eglise se trouve placée, qui rend illégitime le refus explicite du sacre par le pape : en effet, celui-ci doit avoir la volonté habituelle de donner à l’Eglise les moyens indispensables au bien commun de celle-ci. Pour de plus amples détails sur la légitimité des sacres de 1988, voir l’étude théologique de la revue SiSi NoNo – Courrier de Rome.
En mars 1988, s’ouvre le sixième séminaire de la Fraternité, Holy Cross Seminary, implanté en Australie. En septembre de la même année, le séminaire des Etats-Unis se transporte à Winona, dans le Minnesota, dans les beaux bâtiments restaurés d’un ancien noviciat de dominicains. En 1988 la Fraternité Saint-Pie X compte 209 prêtres et 5 évêques.
Le 19 novembre 1989 au Bourget, près de Paris, Monseigneur Lefebvre célèbre le jubilé de ses 60 ans de sacerdoce devant 23.000 fidèles. L’année suivante, la Fraternité Saint-Pie X célèbre ses 20 ans d’existence. Elle compte, en 1990, 236 prêtres et 5 évêques.
Mort de Mgr Lefebvre et de Mgr de Castro Mayer
Le 25 mars 1991, Monseigneur Lefebvre rend son âme à Dieu. Visitant Écône, et se recueillant devant la tombe du fondateur de la Fraternité, un cardinal murmure : « Merci, Monseigneur ». Un mois plus tard, le 26 avril, c’est au tour de son compagnon de combat, Mgr de Castro Mayer, de passer à une vie meilleure. L’année de la mort de son fondateur, la Fraternité Saint-Pie X compte 249 prêtres et 4 évêques.
Consécration d’un évêque
L’année suivante, Mgr Tissier de Mallerais, assisté de Mgr Williamson et de Mgr de Galarreta comme co-consécrateurs, sacre Mgr Licinio Rangel évêque auxiliaire pour la Fraternité Saint Jean-Marie Vianney à Campos, au Brésil. Dans ce pays, les fidèles pourront continuer à vivre de la Tradition bimillénaire de l’Eglise.
Cette même année 1992, la Fraternité ouvre une maison aux Philippines. Dans le même temps, l’apostolat se développe dans les pays de l’Est, à partir de la chute du rideau de fer. Le 25 mars 1993, la première messe est célébrée au Schloss Schwandegg, la nouvelle Maison générale de la Fraternité Saint-Pie X, située à Menzingen, dans le canton de Zoug. Elle accueille aussi le noviciat des sœurs Oblates jusqu’à ce que le nombre de vocations amène les sœurs à installer leur noviciat à Salvan, dans le Valais.
Chapitre général, élections
En juillet 1994, Mgr Fellay est élu supérieur général pour succéder à M. l’abbé Schmidberger, qui est élu premier Assistant général. L’année suivante est fêté le jubilé d’argent de la Fraternité, à Écône, tandis qu’est bénie la première pierre de la future église du Cœur immaculé de Marie. En 1995, la Fraternité compte 329 prêtres et 4 évêques.
Fin de siècle
Durant les années 1994-1999, la Fraternité vit une paisible croissance. La Tradition [2 ] dans son ensemble se développe grâce à l’opération « survie » voulue et réalisée par Mgr Lefebvre. Le nombre croissant du clergé, des religieux et des religieuses, des fidèles, l’épanouissement des familles et de la vie catholique montrent dans les faits la légitimité du choix de l’évêque « rebelle ». L’expansion géographique corrobore l’état de nécessité qui motive le secours à apporter aux âmes, quelle que soit la latitude ou la longitude. Alors que l’esprit religieux, sous l’effet du décapant conciliaire, s’anémie et tend à disparaître, « l’expérience de la tradition » semble bien réussir !
Pèlerinage à Rome en l’an 2000
L’année jubilaire, Monseigneur Fellay décide d’emmener la Fraternité vénérer les Apôtres à Rome et de marquer ainsi notre attachement au centre de la catholicité, à la papauté, ainsi que notre refus de nous laisser enfermer dans une attitude soit-disant schismatique. C’est ainsi que plus de 5.000 personnes – un record pour l’Année sainte ! – viendront en plein mois d’août pérégriner dans les Basiliques majeures. Un journal titre : « Cinq mille excommuniés dans la Basilique Saint-Pierre ! » soulignant par cette gentille ironie un aspect marquant de cette crise : ceux qui cherchent à garder la foi et qui luttent contre les ennemis du catholicisme sont mis au ban de l’Eglise.
“Contacts” avec Rome
Favorablement impressionné par cette démonstration de catholicité, le cardinal Castrillón Hoyos, préfet de la Congrégation du Clergé nouvellement placé à la tête de la commission Ecclesia Dei [3 ], saisit l’occasion d’établir quelques “contacts” plus étroits. Une solution est avancée, sans toutefois qu’aucune forme concrète soit proposée. Mais, une fois encore, la compréhension des membres de la hiérarchie vis-à-vis de la Tradition montre de claires limites. Les yeux sont encore loin d’être dessillés sur la profondeur et l’origine de la formidable crise qui secoue l’Eglise depuis 40 ans déjà.
A la suite de Mgr Lefebvre, le Supérieur général doit rappeler que le temps n’est pas encore venu pour une pleine collaboration, et que toute recherche d’un accord purement pratique (un statut juridique au sein de l’Eglise conciliaire) est voué à l’échec. Par contre, reprenant la balle au bond, Mgr Fellay oriente le débat sur le fond, à savoir les questions doctrinales. Conformément au souhait de Mgr Lefebvre formulé peu avant sa mort, si la Tradition doit reprendre langue avec les autorités romaines, ce ne peut être désormais que sur les problèmes doctrinaux.
Au préalable, Mgr Fellay demande deux signes d’apaisement, susceptibles de montrer que quelque chose a enfin changé au Vatican. Il demande la libéralisation de la Messe traditionnelle pour tous les prêtres catholiques, et la levée des injustes censures qui pèsent sur les évêques prétendument excommuniés depuis 1988, et qui sont comme une marque d’infamie jetée à la face de l’Eglise de toujours. En l’an 2000, la Fraternité atteint le nombre de 400 prêtres, auxquels s’ajoutent les 4 évêques.
Le combat doctrinal
Dès le commencement de son combat pour la foi, Mgr Lefebvre avait justifié et expliqué, par des conférences, des articles et des livres, les raisons de son attitude. Il n’avait cessé par la suite de dénoncer le mal et de proposer les remèdes pour guérir la plaie ouverte par le récent concile. De nombreux auteurs, tant ecclésiastiques que laïques ont également mis leur intelligence et leur plume au service de la défense de la foi dès les prémisses du désastre. Il serait trop long de les citer tous. Afin de continuer cette action très nécessaire, la Fraternité a fondé des organes de presse, organisé des colloques et des congrès, soutenu des revues, sans compter toutes les publications destinées à la formation catéchétique et doctrinale des fidèles.
Depuis quelques années des travaux et des publications approfondissent l’analyse des causes et des conséquences de l’esprit et de la lettre conciliaire. En 2001, la Fraternité publie un ouvrage sur la réforme liturgique, le Novus Ordo Missæ, qui renouvelle les critiques faites à ce rite néo-protestant. Adressé au Saint-Père et à plusieurs cardinaux, ainsi qu’à de nombreux évêques, il n’a à ce jour pas reçu de réfutation sérieuse.
De l’œcuménisme à l’apostasie silencieuse
En janvier 2004, Mgr Fellay et ses deux Assistants (M. l’abbé Schmidberger et Mgr de Galarreta), auxquels s’associent les deux autres évêques (Mgr Tissier de Mallerais et Mgr Williamson) envoient à tous les cardinaux une lettre sur le désastre œcuménique qu’accompagne un document intitulé : De l’œcuménisme à l’apostasie silencieuse – 25 ans de pontificat. Ce document était à l’origine destiné à être remis au pape à l’occasion de son jubilé. Mais l’état de santé de ce dernier conduit le Supérieur général à l’adresser aux cardinaux. Mgr Fellay présente le document lors d’une conférence de presse, suivie très attentivement par une quarantaine de vaticanistes, le 2 février 2004, à Rome.
Là encore, la rigoureuse démonstration n’a pas reçu à ce jour de réponse sérieuse et encore moins de réfutation. Le sujet est pourtant capital : si l’on peut diagnostiquer une « apostasie silencieuse », en particulier en Europe, selon les termes mêmes du Souverain Pontife, celle-ci doit bien avoir une cause. Certes, celle-ci n’est pas unique, mais il n’est pas difficile de comprendre que l’œcuménisme tel qu’il est conçu et pratiqué aujourd’hui engendre inéluctablement un indifférentisme [4 ] qui mène précisément à cette apostasie.
L’élection de Benoît XVI
En 2005, le Supérieur général salue l’élection du nouveau pape comme « une lueur d’espoir ». Bien qu’acquis à la doctrine de Vatican II sur la liberté religieuse et au faux œcuménisme, comme l’illustrent ses visites aux synagogues et aux mosquées, Benoît XVI est conscient de la situation actuelle de l’Eglise, de la grave crise qu’elle traverse et des défauts, sinon des vices, de la réforme liturgique. Quant à la Fraternité Saint-Pie X, après 35 années d’existence, elle compte 451 prêtres et 4 évêques.
Le Chapitre général réuni à Écône en 2006 voit la réélection de Mgr Fellay pour un nouveau mandat de douze ans. A ses côtés, sont élus M. l’abbé Niklaus Pfluger, premier Assistant, un Suisse originaire du canton de Soleure, et M. l’abbé Alain-Marc Nély, deuxième Assistant, un Français. La ligne de conduite est confirmée ; le 15 juillet 2006, le Chapitre général rappelle l’actualité de la déclaration du 21 novembre 1974, et déclare :
Dans les échanges qu’elle a eus en ces dernières années avec Rome, la Fraternité a pu constater le bien-fondé et la nécessité des deux préalables [Unknown Object] qu’elle a réclamés, qui procureraient un très grand bien à l’Eglise en restituant à celle-ci au moins une partie de ses droits à sa propre Tradition. Non seulement le trésor de grâces dont jouit la Fraternité serait sorti de dessous le boisseau, mais il apporterait ainsi le remède dont le Corps mystique a tant besoin pour guérir.
« Si, après leur accomplissement, la Fraternité attend la possibilité de discussions doctrinales, c’est encore dans le but de faire résonner plus fortement dans l’Église la voix de la doctrine traditionnelle. En effet, les contacts qu’elle entretient épisodiquement avec les autorités romaines ont pour seul but de les aider à se réapproprier la Tradition que l’Église ne peut renier sans perdre son identité, et non la recherche d’un avantage pour elle-même, ou d’arriver à un impossible “accord” purement pratique. Le jour où la Tradition retrouvera tous ses droits, « le problème de la réconciliation n’aura plus de raison d’être et l’Église retrouvera une nouvelle jeunesse ». [6 ]
Messe reconnue - Excommunication levées
L’année suivante, Benoît XVI publie, le 7 juillet 2007, un motu proprio dans lequel est enfin déclaré que la Messe tridentine n’a jamais été abrogée, et que c’est un droit pour tout prêtre de la célébrer. La Fraternité salue l’événement, bien qu’elle rejette la présentation de deux formes légitimes d’un unique rite latin, formule ambiguë et manifestement destinée à faire passer la mesure auprès d’épiscopats farouchement hostiles à tout ce qui respire la Tradition.
Enfin, le 21 janvier 2009, après bien des difficultés surmontées au cours de l’année 2008, le Saint-Siège publie un décret du cardinal-préfet de la Congrégation des évêques annulant les effets du décret de 1988 qui avait voulu jeter l’opprobre sur les évêques de la Tradition. Les entretiens doctrinaux, reconnus nécessaires, peuvent enfin s’ouvrir. Ils débutent à partir de l’automne 2009, alors que la Fraternité entre dans sa quarantième année. Elle compte au 1er septembre 2010 quelque 526 prêtres et 4 évêques. Le bon combat de la foi continue, afin que le Christ-Roi retrouve tous ses droits dans son Eglise et sur les sociétés.
- 1Rappelons que la peine de “suspens a divinis” interdit à celui qui en est frappé la célébration publique des sacrements. L’assistance publique et en habit de chœur par le cardinal Gagnon à cette messe de l’Immaculée Conception, introduisait pour le moins un doute sérieux sur la validité des sanctions antérieures.
- 2Le mot « tradition » doit être bien entendu, car il possède diverses acceptions. Dans un premier sens il désigne l’une des deux sources de la Révélation confiée à l’Eglise par son fondateur, l’autre étant la Sainte Ecriture. Elle se définit par le fait même d’être non écrite. Ces deux sources sont égales en dignité, mais la Tradition possède l’antériorité dans le temps, et de plus, c’est elle qui nous donne l’Ecriture sainte. Dans ce premier sens l’on écrit le mot avec une majuscule. – Dans un second sens, le mot désigne les traditions venues des Apôtres et qui se sont transmises au cours de l’histoire. Elles n’ont pas la même dignité que la première, mais doivent être respectées avec vénération. Elles peuvent éventuellement être mises de côté dans certaines circonstances au jugement de l’autorité, si elles sont devenues inutiles ou incomprises. – Enfin le mot désigne différents éléments de la vie de l’Eglise, formés au cours des siècles sous l’influence des deux premières. Cette tradition est le reflet de la foi de l’Eglise vivant du dépôt révélé qui suscite, à travers la puissance de la grâce de l’Esprit-Saint, des manifestations variées de cette foi et de cette vie divine. Ces éléments ne sont point intangibles et peuvent changer et se transformer avec le temps, cependant ils doivent être traités avec respect et précaution, car ils représentent l’expression de la foi à une époque donnée, et leur élimination ou changement réalisé sans discernement induira inévitablement un affaiblissement de cette foi. – Le terme « tradition », avec ou sans majuscule, est enfin parfois utilisé aujourd’hui pour désigner ceux qui veulent en vivre et ne peuvent se résigner à la perte d’un trésor bradé par le modernisme, ni à subir la désagrégation doctrinale et religieuse qui s’en est suivie.
- 3Commission établie en 1988 par le motu proprio du même nom et destinée à accueillir ceux qui voudraient garder la tradition tout en « réintégrant » le giron de l’Eglise. La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X refuse absolument de se rattacher à cette institution, car elle considère qu’elle n’a jamais quitté, et d’aucune manière, le sein de notre Mère l’Eglise.
- 4Doctrine condamnée qui prétend que l’appartenance à telle ou telle religion importe peu pour le salut, car elles sont toutes susceptibles de le fournir aux hommes.
- 6Lettre de Mgr Lefebvre du 2 juin 1988 au pape Jean-Paul II.